Texte de P. Ollivier pour la journée Utopsy (cliquer ici pour voir la vidéo)

« Sauvons le soin psychique ! »


Depuis janvier 2009, les soignants de plus de vingt hôpitaux de jour et institutions de soin du secteur médico-social se sont constitués en collectif : "Sauvons le soin psychique !" .
Ils se sont mis massivement en grève jeudi 29 janvier pour la première fois de leur histoire.

Cette mobilisation a pour déclencheur la menace de destruction pure et simple de nos conditions d'exercice des soins, définies par la convention 66 collective depuis plus de quarante ans.
En effet, trois syndicats d’employeurs (FEGAPEI, SOP, SNASEA) veulent imposer une « révision » totale de ce cadre conventionnel.

Cette révision n’est que la volonté hégémonique d’appliquer à tous les champs de l’activité humaine le modèle libéral-rationaliste, né dans l’industrie puis généralisé à marche forcée.
Ecole, recherche, santé, social, justice…
Nul ne doit échapper au management procédural.


Cette attaque de la convention 66 n'est pas sans fondements idéologiques:

- Négation de la spécificité de notre mission de soin au profit du modèle entreprenarial. Annulation des 35 heures, paupérisation du domaine des soins. Passant de 300 à 100 pages, cette pseudo convention ne serait en fait que le cache misère d’un alignement sur le code du travail le plus strict. Le moyen : abaisser drastiquement les coûts par une attaque sur la masse salariale. Le but : viser, comme toute entreprise le doit, la rentabilité, la compétitivité, et pouvoir, à terme, intégrer une logique de marché.

- Négation de la nécessité d'un personnel formé, capable d'assumer des soins psychiques sur du moyen et long terme (spécificité intrinsèque de nos établissements thérapeutiques).
Cette "révision" ne reconnaît plus les diplômes et fonctions de psychologue, mais y substitue le vocable "technicien d'encadrement". L'éducateur spécialisé disparaît au profit du "technicien d'éducation". Le directeur administratif devient « manager de proximité », supervisant la stricte application des protocoles, et la « traçabilité » des actes.

Il y a toujours plusieurs pointes à un collier étrangleur. Cette casse de la convention 66 trouve parfaitement sa place auprès de l’accréditation et de ces procédures, du PMSI, du CPOM et de sa logique de regroupement, de la MEAH et de ses indicateurs quantitatifs, des PPS officialisant l’étiquetage « handicapé » pour nos patients, de la loi HPST, du rapport Couty…

1) Nous refusons le ravalement des soins psychiques à une prestation de service du secteur tertiaire

Le passage à la moulinette des procédures d’accréditation avait déjà promu la prépondérance de l’administratif, et des protocoles, c’est-à-dire d’une approche purement formelle au détriment de la richesse du contenu, de la pratique clinique.

Nos syndicats d’employeurs et le président de la république vont plus loin. Non seulement le directeur administratif doit être prépondérant, mais, il doit être, anobli au titre de «patron» avec les pleins pouvoirs.
Pour nos établissements privés, qui ne sont en fait que des associations loi 1901 à but non lucratif assurant une mission de santé publique, la menace est grave.

Cette attaque que nous subissons, et le combat que nous y opposons, sont en réalité la tête de pont d’une offensive généralisée contre la psychiatrie. Il est en effet plus aisé d’amener de petites unités de soins, de petites associations, vers une radicalisation libérale. Le modèle de « la bonne pratique standardisée » et de la logique financière, ne sont que le chemin vers la Mac Donaldisation du sanitaire et du médico-social.

Une fois cette torsion infligée, il sera alors bien plus facile de tordre la psychiatrie relevant de la fonction publique. Ce que seront devenues les unités de soin psychique associatives servira d’exemple. Un exemple implacable.


2) Nous refusons le ravalement des soins psychiques à une technique

Il faut nous l’avouer, notre pratique des soins est à l’envers de l’esprit du temps. Elle est d’ailleurs dénoncée de toute part comme obsolète, inefficace et, faute ultime, non rentable.
La psychiatrie française ? La psychanalyse ? Les hôpitaux de jours pour adolescents (émanation de 1968) ? La convention collective 1966 ?
Il n’y a plus d’ « updates to download » pour ces logiciels d’un autre âge.

Les « nouveaux formats » existent déjà : Les techniques cognitivo-comportementales.
Tout à fait syntones, elles, avec leur époque. Elles se disent « techniques », rapides et peu coûteuses.
Il y a une alliance objective entre libéralisme et TCC. Sans frémir certains neuroscientifiques prônent d’« opérer dans un réel environnement de libéralisme cognitif »(1). Enseignent la « neuroéconomie » et appliquent le « neuromarketing ». L’un d’eux, monsieur Oullier, prédit des lendemains qui chantent : « C’est un euphémisme d’expliquer que la neuroéconomie, et les neurosciences en général, suscitent de nos jours l’intérêt et ont une portée en dehors des laboratoires de recherche publics. Dans les milieux industriels, politiques, éducatifs, sportifs et financiers, pour ne citer que les plus explorés, la nécessité d’une meilleure compréhension du cerveau de l’individu semble devenue une priorité. Les premières applications que nous observons aujourd’hui au sein de la société laissent présager des bouleversements majeurs dans l’appréhension des sciences comportementales et leurs conséquences, voire dans la vision de l’humain et de la société. »

Il nous faut constater que la ligne de force des différents dispositifs et réformes auxquels nous sommes soumis, c’est de ne jamais aborder la question du contenu.
C’est que, de contenu, il ne devrait plus y avoir.
Mais des protocoles, et même un protocole des protocoles.
Mais des handicapés psychiques, qu’il s’agira naturellement de rééduquer.
Mais des comportements inadaptés socialement, au premier rang desquels le passage à l’acte violent, qu’il s’agira de reconditionner, et de sédater par un recours toujours plus grand à la pharmacologie.

La destruction de la convention 66 ne nous permettra plus de proposer des soins psychiques dignes de ce nom ? La belle affaire, puisque de tout cela il ne saurait plus être question !
Demain ? la maltraitance ! sous toutes ses formes. Les décideurs qui en sont aujourd’hui les instigateurs devront en assumer bientôt la responsabilité.

Ce découpage comportemental qu’est le protocole relève d’une conception du monde dont toute créativité subjective est abolie au profit de la duplication du même.
Cette haine du désir singulier, cette abrasion de toutes les différences, c’est exactement l’opposé du travail de soin psychique éclairé par la psychanalyse. Construction lente et toujours inédite, permettant à la plus pure singularité d’un être de se lier à l’universel. La personne souffrante et son lien renoué à la société.

Or, la demande sociale, faussement opposée au désir du sujet souffrant, est désormais mise au centre dans le discours présidentiel :

« L’espérance, parfois ténue, d’un retour à la vie normale, - j’ose le dire ici ne peut pas primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens. »


C’est pourquoi je suis particulièrement heureux du programme de cette journée. Car l‘erreur serait d’entériner ce clivage de nature paranoïaque, autant que démagogique. Il n’y a pas d’une part « le fou et ses psychiatres », et d’autre part « la société saine et ses victimes ». Nous savons que le fou n'appartient à aucune institution qui en serait dépositaire, mais circule dans toutes les institutions. Avec des moyens divers et le plus souvent scandaleux pour accueillir sa souffrance.
Malheureusement, ce morcellement est à l’œuvre de longue date entre nos institutions. Ce clivage est purement imaginaire et se nourrit de la peur. Il est entretenu par ceux qui nous administrent. Il pourrait empêcher un mouvement fort et unitaire de se former pour faire front aux affronts.

Nous y apportons aujourd’hui par notre rassemblement un démenti puissant .





Pascal OLLIVIER, psychologue, Hôpital de jour pour Adolescents « Gombault-Darnaud », 75017
sauvonslesoinpsychique@yahoo.fr

http://sauvonslesoinpsychique.blogspot.com/


(1) & (2) EXPLORATION DU CERVEAU, NEUROSCIENCES : AVANCÉES SCIENTIFIQUES, ENJEUX ÉTHIQUES
COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE
Assemblée nationale et sénat DU MERCREDI 26 MARS 2008

(1) « Pour opérer dans un réel environnement de libéralisme cognitif, il faut transformer le procédé d’amélioration en bien public, accessible à tous, dont personne ne puisse être privé et dont l’usage n’épuise en rien la ressource. En outre, de tels dispositifs peuvent être utilisés dans des buts thérapeutiques, ou pour améliorer la performance d’un individu. Il faut dès lors créer un nouveau garant, une Agence nationale de l’amélioration cognitive chargée d’évaluer le procédé, son innocuité, sa réelle efficacité, son accessibilité, etc. »
M. Hervé CHNEIWEISS, Directeur du laboratoire de plasticité gliale, Centre de Psychiatrie et neurosciences (INSERM), Membre du Conseil scientifique de l’OPECST.

(2) « Donner, vendre, investir, récompenser, punir, sont des actions qui scandent notre quotidien, lequel peut être considéré comme une succession de décisions conscientes ou non. Si le mariage entre neurosciences et économie peut paraître improbable, il offre aujourd’hui la possibilité d’étudier la dynamique comportementale et cérébrale d’un ou plusieurs individus en interaction dans des situations de plus en plus réalistes et écologiques. Cette discipline universitaire permet aussi d’affiner les théories économiques néo-classiques basées principalement sur l’idée d’un agent purement rationnel, en explorant le rôle des émotions dans les décisions économiques et morales. Elle est une superbe illustration de la multidisciplinarité. C’est un euphémisme d’expliquer que la neuroéconomie, et les neurosciences en général, suscitent de nos jours l’intérêt et ont une portée en dehors des laboratoires de recherche publics. Dans les milieux industriels, politiques, éducatifs, sportifs et financiers, pour ne citer que les plus explorés, la nécessité d’une meilleure compréhension du cerveau de l’individu semble devenue une priorité. Les premières applications que nous observons aujourd’hui au sein de la société laissent présager des bouleversements majeurs dans l’appréhension des sciences comportementales et leurs conséquences, voire dans la vision de l’humain et de la société. »

M. Olivier OULLIER, enseignant chercheur en neuroéconomie, université de Marseille.

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