Handicapés, inadaptés, lois du marché
Le personnel médico-social lutte pour que les lois du marché ne nuisent pas à leurs conditions de travail, et au traitement de ses patients
Des cris d'enfants, des poings qui partent dans tous les sens, des coups de pieds aussi, et beaucoup d'injures. C'est le quotidien de l'Usis (unité de soin intensif du soir) du 14e arrondissement de Paris. Cet hôpital de jour reçoit à partir de 16h des enfants scolarisés (de 7 à 18 ans) mais «inadaptés», pour soigner la souffrance intérieure qui les étreint et les rend violents. Le personnel se fait traiter de tous les noms par des enfants qui ne leur arrivent pas aux hanches. Aux mots de «connard» et de «pétasse», ni les éducateurs ni les psychiatres ne s'irritent; ils cherchent à comprendre pour expliquer, patiemment, comment il faudrait se comporter. Ils sont formés à cela. Pour l'instant.
Affronter la violence
Ces éducateurs et psychiatres font partie du «personnel» médico-social français ou sanitaire et social français dont une partie — 240.000 — voit ses conditions de travail régies par la convention collective, dite Convention de 66 — de l'année de sa promulgation. Elle leur donne pour l'heure un certain nombre d'avantages en raison de la pénibilité de leur travail: apporter des soins à près d'un million de personnes (1) dans des structures comme les hôpitaux de jour ou les foyers. Ces avantages concernent notamment leurs vacances: un éducateur spécialisé bénéficie par exemple, en plus des 30 jours de base, de 18 jours de congés payés annuels. Il n'en aurait plus que cinq avec la révision. Cette baisse passe d’autant plus mal que les salaires restent bas — un «éduc spé» débute à 1.340 euros net par mois et finit sa carrière à 2.300 euros — et que les primes d'ancienneté seraient revues à la baisse. Or, pour faire ce métier, explique Philippe Metello, psychiatre directeur de l'Usis du 14e, il faut être bien payé et, pour tenir face aux cris, à la violence, pouvoir se reposer régulièrement.
Alors depuis plusieurs semaines, les salariés manifestent dans toute la France pour s'opposer à la réforme de cette convention qui, disent-ils, pose également le problème de l'adaptation des soins aux patients. Selon le collectif, la remise en cause de la convention aboutirait à «la déqualification des diplômes existants». Paradoxalement, cette crainte vient de la volonté affichée par la réforme de revaloriser certaines professions. Philippe Calmett, le directeur général de la Fegapei (un des trois syndicats d'employeurs), explique que la convention est dépassée, notamment parce que les savoir-faire du secteur ont évolué. «La convention ne reconnaît pas certaines qualifications nouvelles, comme les agents d'éducation.» L'agent d'éducation est une qualification de niveau bac, quand l'éducateur spécialisé reçoit une formation à bac +3, faite de psychologie et d'éthique.
Pour les syndicats d'employeurs, il s'agit de reconnaître ces postes pour les rendre plus attractifs, parce que le secteur a besoin d'embaucher. Pour les salariés, cela équivaut à remplacer les qualifications anciennes pour faire des économies. «Techniciens d'éducation, ou agents d'éducation, c'est un vocabulaire très ronflant et vide de sens, intervient Pascal Ollivier, qui signifie simplement que les diplômes ne seront plus nécessaires. Et que l'on mettra entre les mains d'un jeune qui sort du bac un patient schizophrène ou atteint de troubles comportementaux graves.»
Les cheminots du handicap et de la santé mentale
Malgré le nombre élevé de personnes concernées, le retentissement médiatique de leur mouvement est faible: le secteur, peu habitué à la contestation et très peu syndiqué, est mal organisé. Leur condition rappelle pourtant celle d'autres professions qui ont vu leur convention révisée. «Nous sommes les cheminots du handicap et de la santé mentale», estime Pascal Ollivier, psychologue à l'hôpital de jour Gombault-Darnaud à Paris. Lui qui ignorait il y a quelques mois l'existence de la convention 66 fait désormais partie du collectif «Sauvons le soin psychique». «On veut plaquer sur nous la logique que le gouvernement a voulu imposer à la justice, aux employés de la poste: rendre le secteur plus rentable», estime Pascal Ollivier. «Mais nous traitons avec des patients, des individus qui ont de besoin de soins adaptés, on ne peut pas être dans une logique quantifiable de service marchand».
Selon les syndicats de salariés, le but, à terme, est évidemment de faire des économies en réduisant la masse salariale — ce que récusent fermement les syndicats d'employeurs. «70% des frais d'un hôpital de jour sont consacrés à la masse salariale, explique pourtant Philippe Metello, qui se plaint de ce que les problèmes de gestion posés écartent de plus en plus le personnel des soins apportés aux patients. Si l'on veut réduire les coûts, une déqualification du personnel est une façon d'y parvenir, mais une façon dangereuse.»
Les soins qui sont prodigués aux patients prennent des années, avant de peut-être en voir les effets: ce sont des coûts qui s'étendent sur le long terme. A l'hôpital Gombault-Darnaud, les enfants restent en moyenne 3 à 4 ans; mais le taux de réinsertion est de 70%. 30% retrouvent une vie normale, occupant un emploi dans les deux ans qui suivent leur sortie de l'établissement; 40% s'insèrent en milieux adaptés. «La société, à la recherche de plus en plus de logiques marchandes, est-elle encore prête à payer ce prix?», s'interroge une psychologue qui travaille avec des psychotiques et des enfants autistes.
pour lire la suite:http://www.slate.fr/story/7017/handicap%C3%A9s-inadapt%C3%A9s-lois-du-march%C3%A9
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